Le temps du pardon


Chapitre 1 

 

            Cela faisait plusieurs jours déjà que Milo ne s'était pas rendu aux arènes pour l'entraînement et cela n'était guère dans ses habitudes. Lorsque j'abordai la question avec mes frères d'armes, ces derniers me répondirent qu'il éprouvait peut être le besoin de faire le point après le combat qui nous avait opposé à Hadès.
        -Tu sais, tout ce qui s'est passé alors l'a touché bien plus que l'on ne pourrait le croire. Tu ne t'en es pas forcément rendu compte mais cela
        a ébranlé tout ce en quoi il croyait, tous ceux en qui il croyait, me dit Mû en plantant son regard violine dans le mien.
Je sentis un frisson me parcourir tandis qu'un froid intense s'emparait de tout mon être...enserrait mon âme... Une froid plus implacable que tout ce que j'avais connu jusqu'alors. Et le comble de cette situation c'est que j'étais totalement incapable de comprendre les raisons de ce malaise insidieux. Bien sûr j'étais rongé par la culpabilité en repensant à ma trahison, même si, désormais, tous comprenaient que les Saints "renégats", dont je faisais partie, avaient agi ainsi pour le bien de tous, au nom d'Athéna.
                    Mais il y avait autre chose que je ne parvenais pas à définir, comme une ombre insaisissable planant sur mon coeur et m'empêchant de reprendre le fil de mon existence...
Quelque chose en moi s'était brisé, cassé...
        -A quoi penses-tu Camus? me demanda Mû en considérant mon air soucieux, tu as l'air pensif, tu es sûr que tout va bien?
        -Oui, oui, répondis-je distraitement, ne t'inquiète pas Mû.
Nous demeurâmes face à face un moment, sans qu'aucun de nous ne cherche à briser le silence qui s'était installé, puis Mû reprit la parole.
        -Va le voir, me dit-il.
        -Hein? Mais de quoi parles-tu Mû?
        -De Milo, évidemment.
        -Tu crois que je devrais lui rendre visite, c'est ça? demandai-je, hésitant.
        -Oui, je le crois, tu as besoin de lui afin de te pardonner à toi même.
       - Mû, je ne comprends pas où tu veux en venir et...
       -Ecoute, ici nous t'avons tous pardonné, tous ou presque... Milo ne te fais plus confiance, pour lui, rien n'est plus comme avant, rien ne
        pourra être comme avant...Et c'est ça qui te fait souffrir Camus, cetté épine douloureuse, là, près de ton coeur, c'est la marque du Scorpion
         l'absence de Milo... Tu as besoin de son pardon pour continuer ta vie qui est comme suspendue depuis notre retour... Parle-lui Camus.
Loin de me soulager, les mots de Mû me faisaient douter encore davantage et créaient l'indécision dans mon esprit...Pour une raison simple... Au fur et à mesure que Mû me parlait, je comprenais qu'il avait raison et que tout ce qu'il disait ne reflétait rien d'autre que ce que mon coeur me criait depuis mon retour de l'Hadès...
                    Quand nous étions revenus sur terre, rendus à la vie par Athéna, tous les chevaliers nous avaient accordés leur pardon à nous autres renégats...
Enfin presque tous...Lors de cette sorte de "cérémobie du pardon", Milo avait provoqué une surprise immense dans la chevalerie . Il avai ttout d'abord serré les mains d'Aphrodite et de Deathmask et leur avait dit:
        - Mon pardon est votre mes amis.
Puis, se tournant vers Shura, il lui avait déclaré:
        -Mon ami sois sans crainte, je t'accorde mon pardon dans l'instant.
Et après cela, il lui avait donné l'accolade. Se tournant alors vers Saga et après avoir pris ses mains dans les siennes, il l'avait absout de la même faço, que les autres.
Enfin, il fit un pas dans ma direction mais contrarement aux fois précédentes, son visage n'était plus empreint de l'expression douce et bienveillante qu'il arborait face à mes compagnons. Ses traits semblaient soudain plus durs et à aucun moment il ne croisa mon regard... Ses poings se serraient de façon convulsive et il resta ainsi pendant un long moment.
Finalement, il se décida à prendre la parole et commença d'une voix monocorde une phrase qu'il n'acheva pas, une phrase qui depuis me hantait, me rongeait jour et nuit, moi l'insensible chevalier des Glaces.
        - Quant à toi Camus...
Il fut ensuite incapable de poursuivre. Sans que je comprenne pourquoi, ses yeux myosotis s'emplirent de larmes... Larmes de frustration? Larmes de rage? Ou tout simplement de déception? Je demeurai interdit. Ses épaules furent secouées par un sanglot qu'il ne put réprimer, puis sans que personne n'ait osé intervenir, il tourna les talons et se dirigea d'un pas chancelant vers la porte du palais du grand Pope  dans lequel nous nous trouvions. Marquant une pause en arrivant devant celle-ci, il baissa la tête un instant puis en franchit le seuil...
                    Je restai paralysé, dans l'impossibilité de réagir de quelque manière que ce fut. J'étais impuissant face à ses larmes, que je ne comprenais pas. L'incompréhension... C'est bien le sentiment qui m'habitait, qui habite encore maintenant chacune des fibres de mon corps. Pourquoi? Pourquoi alors qu'il avait été en mesure d'accorder son pardon aux autres refusait-il de me faire le même cadeau?
Je ne trouvais pas la raison de ce comportement, je ne parvenait pas à me l'expliquer... Avant ma mort, nous avions toujours été très proches lui et moi, nous étions amis, de véritables amis, aussi étonnant que cela ait pu paraître aux yeux des autres chavaliers. En effet, nous étions tellement différents l'un de l'autre, autant que peuvent l'être le jour et la nuit, Milo et moi... Le feu et la glace... Lui, pasionné, entier, expansif et drôle et moi si froid, réservé et à la personnalité austère, taciturne, incapable de partager mes pensées et mes sentiments avec quiconque... Et pourtant, en sa compagnie, je me dévoilais peu à peu, j'abaissais cette barrière protectrice, véritable rempart auquel tous se heurtaient et que j'avais érigé il y a si longtemps déjà... Juste pour lui... Pour conserver son amitié... Afin que cette relation privilégiée entre nous perdure. Avec Milo, je me sentais en confiance, je découvrais pour la première fois la chaleur humaine, la sensation d'être apprécié par l'autre... Et j'y prenais goût. Dès mon réveil, je pensais à lui et à ce que nous allions encore pouvoir partager. Chaque jour ou presque, nous nous retrouvions et discutions des heures durant, sans voir le temps passer. Sans se rendre compte que le soleil était déjà couché depuis bien longtemps et qu'un jour nouveau était levé. Parfois, lors de nos promenades sur les falaises, nous voyions le soleil poindre à l'horizon aux premières lueurs de l'aube et nous nous étonnions qu'il soit déjà si tard... ou si tôt... Nous perdions la notion du temps tout simplement. Au fil de ces moments passés en sa compagnie, je me sentais comme apaisé, plus léger, comme libéré d'un poids dont l'existence m'avait toujours paru inévitable.
Chacun porte sa croix... Je ne voyais pas pourquoi c'eut été différent pour moi, c'était la fatalité... Et pourtant, à ses côtés, j'étais transfiguré, il avait fait fondre les glaciers dont je m'étais entouré... Lui seul savait rééllement qui j'étais...
D'ailleurs, lorsqu'il s'absentaitafin d'aller exécuter de mystérieuses missions pour le compte du Grand Pope, je me sentais si mal, comme enterré vivant, emmuré au coeur même du silence le plus insoutenable. Je redevenais alors l'ancien Camus, froid et solitaire.

Loin de toi j'étais vide, incapable de faire taire mes idées noires. Puis tu revenais enfin, avec ton sourire qui me faisait tellement de bien et tu me rendais mon âme... Oui quand j'y repense maintenant c'est exactement ça... C'est comme si à chacune de tes absences tu emportais mon âme avec toi, qu'elle s'attachait à tes pas comme si elle tenait plus à toi qu'à moi... Et c'est le cas... A chacun de tes retours tu me rendais à moi-même puis, l'air soudain inquiet tu me fixais attentivement, plissant les yeux comme pour mieux me percer à jour et disais:
 
        - Camus tout va bien? Tu as l'air fatigué... Tu n'es pas malade au moins?
        -Non milo tout se passe le mieux du monde, ça va...
C'était inmanquablement la réponse que je lui donnais, et ces points de suspension faisaient partie intégrante de ma réponse, ils remplaçaient cinq mots qui me restaient toujours, pour je ne sais quelle obscure raison, au fond de la gorge: "depuis que tu es là". Voilà ce que je voulais lui dire, je me maudissait intérieurement d'être si froid avec la personne qui avait le plus d'importance à mes yeux. Il semblait ne se douter de rien quant à la lutte terrible qu'il provoquait en moi.
        - Dans ce cas me voilà rassuré, disait-il, retrouvant alors son sourire si réconfortant.
                   Et puis un jour alors que nous discutions des troubles qui agitaient le Sanctuaire et qui semblaient être causés par des chevaliers de bronze rebelles, la conversation prit un tour plus personnel.
        - Camus, je sais que Hyôga, ton disciple, fait partie de ce groupe que l'on accuse de trahison... Je sais qu'au delà de ce que tu veux bien
          bien montrer, cet état de fait te touche profondément et si tu veux m'en parler, n'hésite pas, je suis là, me dit Milo tandis qu'il prenait ma
          main dans la sienne et la pressait doucement.
Je sentis les larmes me monter aux yeux alors que la culpabilité m'envahissait. En effet ce que Milo venait de dire me montrait à quel point j'étais égoïste, loin de penser à Hyôga, je ne pensais qu'à moi, à cette bataille imminente qui nous menaçait et au chagrin que j'aurais si jamais je venais à perdre Milo... Hyôga était à des lieues de mes préoccupations du moment et je m'en voulais de penser si peu à lui en de telles circonstances. Toutefois, soucieux de ne pas décevoir Milo, je lui fis croire qu'il était dans le vrai et que le sort de Hyôga me préoccupait tant que je n'étais pas très loquace.
        - Excuse-moi Milo, je ne suis pas d'agréable compagnie en ce moment, c'est vrai que je m'inquiète pour Hyôga, je suis très attaché à lui et
          je ne voudrais pas qu'il lui arrive malheur... mais...
        - Mais tu ne veux pas le montrer, dit Milo en me souriant malicieusement, tu es incorrigible Camus!
        - Oui tu as raison, répondis-je en masquant mon trouble.
        - Je te connais bien depuis le temps...
Le ton de Milo me surprit, il semblait si mélancolique, si grave d'un seul coup. Mon sang se glaça dans mes veines, je ne me rendais pas compte de ce qui se passait alors. Tout ce que je percevais était cette tristesse qui émanait de Milo.
        - Toi non plus ça ne va pas, balbutiai-je.
        - Tu me connais trop bien pour que je puisse te mentir Camus, répondit-il en me gratifiant d'un pauvre sourire.
Mon coeur se serra douloureusement dans ma poitrine. Non seulement mon meilleur ami, mon seul ami traversait une passe difficile face à laquelle je prenais toute la mesure de mon impuissance, mais en plus, Milo se dévoilait en toute simplicité et faisait montre à mon égard d'une sincérité que j'étais pour ma part incapable de lui témoigner en retour. J'avais tellement peur de le décevoir et de devoir affronter son mépris que je faisais tout pour me conformer à l'opinion idéalisée que Milo avait de moi. J'occultais la part de moi-même susceptible de lui déplaire et gardais pour moi certaines pensées, certains sentiments, ne sachant comment Milo pourrait les percevoir de son côté.
Je pris sur moi et malgré le noeud de mon estomac et cette boule au fond de la gorge je réussis à articuler non sans peine une phrase dont la banalité m'effara moi-même. Je me serais mis des giffles.
         - Que se passe t-il, dis -moi?
Milo qui jusqu'à présent me fixait baissa soudainement le regard.
        - La réponse se trouve t-elle inscrite sur la pointe de tes pieds, noble chevalier du Scorpion? dis-je en tentant de faire de l'esprit à défaut de
          le réconforter.
Quand je vis ses yeux qui cherchaient un point d'ancrage dans la pièce, essayant de se raccrocher à quelque chose, je sentis sa panique. Je m'avançai lentement vers lui et tendis une main tremblante que je posai sur son épaule qui frémit, puis de l'autre,  relevai son menton. Lorsque son regard plongea dans le mien, il ne put contenir ses larmes plus longtemps. Et moi, fidèle à ma réputation je demeurai immobile, me contentant de lui tapoter l'épaule à intervalles réguliers, ne sachant que faire. Je n'avais guère l'habitude de me retrouver dans ce genre de situation, qui plus est, la personne qui se tenait là n'était pas n'importe qui, il s'agissait de Milo, je l'avais toujours connu enjoué, optimiste et drôle. Le voir plongé dans un désespoir si profond m'ôtait définitivement tous mes moyens.
        - Allons Milo, que peut-il se passer pour que tu sois dans un tel état? Tu n'es pas du genre à te comporter ainsi s'il n'y a rien de grave! Alors
          n'aie aucune crainte et dis-moi tout.
Entre-temps, j'avais pris sa main dans la mienne tout en maintenant son menton de l'autre.
        - Rien de ce qui te tourmente n'est ridicule à mes yeux... Tu me fais confiance ou pas?
Une fugitive lueur de colère traversa le regard de Milo.
        - Bien sûr que j'ai confiance en toi, dit-il en haussant le ton, pourquoi, tu en doutes?
        - Non... Non, bien sûr que non Milo, bredouillai-je.
        - Pardonne-moi cet accès de colère mais je suis tellement tendu ces derniers temps...
        - Mais enfin, pour quelle raison?
        - Je... Je suis... tombé amoureux, m'avoua Milo tout en scrutant ma réaction avec anxiété.
J'eus l'impression que la terre s'effondrait sous mes pieds. Je ne connaissais rien à l'amour contrairement à Milo qui était un séducteur impénitent, un vrai Don Juan, mais je compris tout de suite que je devrais m'effacer face à la femme dont il était épris. Il privilégiera sa relation amoureuse au détriment de notre relation amicale. Je passerai après elle et ne serai plus la personne la plus importante à ses yeux. Cependant, lui occupera toujours cette place si particulière dans mon coeur et je souffrirai de son inattention. Seul, de nouveau, à jamais...
Je me ressaisis immédiatement, je n'allais pas m'apitoyer sur mon sort alors que Milo souffrait.
        - Mais c'est merveilleux Milo! Où est le problème?
Il ôta alors sa main de la mienne et alla s'asseoir dans le sofa puis lança finalement:
        - Cette personne n'éprouve rien de plus pour moi qu'une sincère amitié...
        - Comment est-il possible qu'une fille puisse ne pas tomber dans l'instant sous ton charme? m'écriai-je hors de moi.
Je maudissais cette créature qui avait fait naître ce masque de tristesse sur son si doux visage. Pour qui se prenait-elle à refuser ainsi la perfection? Je me pris à la haïr du tréfond de mon âme, elle le faisait souffrir inutilement puisque de toute façon elle finirait sans doute par céder à sa cour, puis elle me l'arracherait sans ménagement et je ne pourrais guère m'y opposer puisque cette situation ferait le bonheur de Milo.
Contrastant avec mon bouillonnement interne, mon attitude ne reflétait aucun sentiment. Je n'avais pas bougé du centre de la pièce et j'eus toutes les peines du monde à venir m'asseoir à ses côtés.
        - Si cette fille te refuse c'est qu'elle n'a pas compris à côté de qui elle passe...
        - Non, ce n'est pas ça, mais cette personneest elle-même l'incarnation de tout ce que j'ai toujours cherché et elle ne pourra jamais m'aimer,
          Jamais... Mais cela n'a que peu d'importance tant que tu es avec moi et que tu m'offres ton amitié. Promet-moi de ne jamais me laisser  
          Camus, promet-le, dit-il en éclatant une fois encore en sanglots.
       - Je te le promets Milo, je t'en pries, ne pleure pas.
Je me sentais tellement... heureux que Milo me prouve ainsi qu'il était attaché à moi, je ne pensais plus à rien d'autre qu'à cette joie qui m'envahissait. Milo choisit ce moment pour se jeter dans mes bras, me renversant à demi sur le canapé.
        - Je suis si bien là que j'en oublierais tout le reste, me murmura Milo, j'en oublierais presque à quel point je suis lâche...
Alors, comme malgré moi, je refermai mes bras autour de lui et passai doucement ma main dans ses boucles marines, je le sentis se blottir un peu plus contre moi et cela ne fit qu'ajouter à mon bonheur. Il avait besoin de moi autant que moi j'avais besoin de lui. Il m'avait octroyé le plus beau des pouvoirs, celui de lui apporter le joie et le réconfort.
        - Camus, je suis fatigué et ...
        - Oh bien sûr, excuse-moi, je vais te laisser dormir, dis-je en tentant de me redresser.
        - Non! s'exclama Milo, surtout pas au contraire, je voulais te demander si cela te dérangerait  si je te demandais de rester avec moi cette
          nuit, ici, sans bouger, c'est si réconfortant de te sentir là, alors...
        - N'en dis pas plus, tes désirs sont mes ordres, dis-je en lui souriant maladroitement.
        - Merci d'être là, tout simplement Camus, ton amitié est le plus beau des présents que je puisse espérer.
                    Sur ces mots, il enfouit sa tête dans le creux de mon épaule, passa une main autour de ma taille puis posa l'autre sur mon coeur qui se mit à battre de façon inhabituellement rapide. Il posa ses deux jambes au dessus des miennes et j'enserrai alors sa taille d'un bras tout en continuant à jouer avec ses magnifiques cheveux de l'autre... Je me trouvais dans un rêve... Heureux... Cependant, je ne pouvais m'empêcher de penser que mon amitié était peut être le plus beau présent que possédait Milo pour le moment mais que lorsqu'il rencontrerait l'amour, mon amitié, aussi profonde soit-elle, passerait pour lui au second plan.
Cette idée m'attristait mais sentir le souffle chaud et régulier de Milo dans ma nuque m'appaisait et m'incitait à profiter du moment présent sans me soucier du reste. Je ne dormis pas cette nuit là... Et j'avais eu bien raison car le lendemain, au coucher du soleil, j'avais affronté Hyôga... Le lendemain, au coucher du soleil, j'étais mort...


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